"Le Professeur" de Charlotte Brontë

Bouteille jetée par Alex , mercredi 22 août 2012 19:33

“No man likes to acknowledge that he has made a mistake in the choice of his profession, and every man, worthy of the name, will row long against wind and tide before he allows himself to cry out, 'I am baffled!' and submits to be floated passively back to land.” Charlotte BRONTË, The Professor [1]
     L'essentiel de l'intrigue du Professeur se déroule à BruxellesWilliam Crimsworth, le personnage principal et narrateur à la première personne du récit, devient, après une première expérience dans un pensionnat de garçons, instituteur dans le pensionnat voisin pour jeunes filles dirigé par Miss Zoraïde Reuter. Orphelin de père et de mère, il a quitté son Angleterre natale pour trouver sa voie mais surtout pour être enfin indépendant après avoir fait une brève carrière en tant que clerc dans l'usine de son antipathique frère, Edward. Il doit sa place en Belgique aux recommandations d'un personnage étrange mais haut-en-couleur, M. Hunsden, un collaborateur de son frère qui la prit en affection. A Bruxelles, tout en prenant ses marques, il devra trouver en lui assez de pédagogie et d'autorité pour déjouer les manigances des plus chipies de ses élèves et aider les plus prometteuses à se dépasser. Mais, lui qui se laisse porter trop souvent par ses sentiments, saura t-il déjouer les projets des plus intrigant(e)s pour discerner l’honnêteté de l'hypocrisie, l'amour véritable de l'amour-propre ?

       C'est drôle comme les œuvres d'une même auteur se répondent et comment on garde en mémoire chacune d'elles à la lecture d'une seule, si tant est qu'on en ait lu plusieurs. C’est souvent le cas pour les œuvres de jeunesse comme s'il fallait se raccrocher à du déjà-lu histoire de ne pas se perdre avec cette œuvre prétendument « mineure ». Après tout, une œuvre ne peut-elle se suffire à elle-même ? Au contraire, on devrait faire abstraction de tout le reste pour l'apprécier à sa juste valeur en tant que témoignage unique des premiers pas de l'auteur en question dans l'acquisition de son style propre.

          Pour l'instant, afin de lui donner sa chance et de le prendre au sérieux, j'ai envie de rendre hommage au Professeur de Charlotte Brontë sans me risquer à tomber dans des banalités sur sa place dans l'œuvre complète de son auteur. Certes, Jane Eyre est peut-être son œuvre la plus aboutie et à bien des égards, ce roman a un statut à part pour moi comme je l'ai déjà développé dans un précédent billet. Mais, à vrai dire, ce genre de remarque qui laisse entendre qu'il y aurait comme une hiérarchie dans l'œuvre de Charlotte à tel point que Jane Eyre metterait toutes les autres en respect ne me plaît pas beaucoup et ne nous fait pas vraiment avancer, à mon sens.

       Déjà, mais ma propre édition du roman chez « L'Imaginaire » n'en a même pas fait mention, Le Professeur n'est pas à proprement parlé une œuvre de jeunesse : certes, il a été écrit avant que Jane Eyre, Villette ou Shirley ne soient publiés mais il a été nourri par une expérience déjà acquise dans le travail de son style et de l'art de composer comme le souligne un texte de sa propre main qui a servi de préface à sa publication à titre posthume.

        En arrière-plan, on sent beaucoup une part personnelle, voire autobiographique, de cette œuvre pour Charlotte et il est certain que son voyage à Bruxelles avec sa sœur Emily pour étudier le français dans le pensionnat de Monsieur Héger, qui, d'après la légende, ne l'aurait pas laissée insensible, a nourri les passages les plus nostalgiques et les plus sensibles comme par exemple celui qui ouvre le chapitre VII, c'est-à-dire l'arrivée de William en Belgique :
“Belgium! name unromantic and unpoetic, yet name that whenever uttered has in my ear a sound, in my heart an echo, such as no other assemblage of syllables, however sweet or classic, can produce. Belgium! I repeat the word, now as I sit alone near midnight. It stirs my world of the past like a summons to resurrection; the graves unclose, the dead are raised; thoughts, feelings, memories that slept, are seen by me ascending from the clods--haloed most of them--but while I gaze on their vapoury forms, and strive to ascertain definitely their outline, the sound which wakened them dies, and they sink, each and all, like a light wreath of mist, absorbed in the mould, recalled to urns, resealed in monuments.” [2]
         Pourtant, ce qui m'a le plus marqué à ma lecture, c'est le souci de réalisme, de clarté et de simplicité qui lui ont permis de rendre le cheminement de ce personnage dans la vie active et dans le monde, ses sentiments et ses remarques beaucoup plus crédibles. Cette vraisemblance, peut-être acquise d'après l'observation de son propre maître, Mr Heger comme un modèle, nous permet de davantage nous identifier au personnage principal d'autant plus qu'il raconte son expérience et ses souvenirs à la première personne. Pour quelqu'un comme moi, qui me destine à prendre la même voie, celle du professorat, j'ai beaucoup apprécié les leçons qu'elle faisait tirer à son personnage de son expérience de la classe et de son acquisition de « trucs » de professeurs pour être ni trop autoritaire, ni trop sujet à la sensiblerie envers les élèves. Charlotte a fait de William Crimsworth un personnage intègre, avec beaucoup d’honnêteté et de sens des réalités ce qui peut parfois le faire paraître dur ou même cruel mais quelque part, sans adhérer à tout, j'ai aimé ce style direct et le rejet de toute idéalisation du métier et des élèves.

         Plus que le style, c'est le point de vue choisi qui m'a plu et auquel j'aimerai rendre hommage. Comme je l'ai dit, la focalisation se fait à la première personne et c'est William, un homme donc, qui parle. J'ai aimé cette audace de la part de la jeune fille qu'était Charlotte et l'exercice de style m'a plutôt convaincu. Certes, parfois, l'illusion ne trompe pas surtout quand Monsieur décrie avec minutie ce que porte ses élèves ainsi que l'élégance ou le port de ces demoiselles ! Bien sûr, en tant qu'homme, William ne peut pas être insensible à la présence d'autant de jeunes filles alors qu'il n'a jusque là que côtoyer des hommes dans sa propre scolarité à Eton mais avoir un tel sens du détail pour ces choses-là met tout de même la puce à l'oreille. Tout du moins, ce soupçon ne gâche pas la lecture ce qui aurait rendu bien peu crédible ce bon roman d'apprentissage.


        D'ailleurs, qu'ai-je pensé de William ? J'ai remarqué, comme dans ce billet-ci (en anglais), qu'il avait paru particulièrement antipathique à certain(e)s par sa prétention, son tempérament assez hautain d'extérieur ou son manque de gratitude et de tendresse envers certains personnages comme Mr Hunsden, ce qui est vrai, alors que ce dernier est son bienfaiteur. Cependant, j'ai interprété cette façon de faire comme un jeu entendu entre les deux personnages (ui se chamaillent toujours gentillement) comme si William ne voulait pas lui donner une trop grande satisfaction de lui-même alors qu'Hunsden a ce petit défaut bien prononcé ! C'est qu'Hunsden est drôlement content de lui et de ses positions et pourtant, c'est un personnage que j'ai beaucoup apprécié car il donne de la fraîcheur et de l'humour à cette histoire qui pourrait facilement tomber dans le mélodrame surtout au moment où il apparaît dans l'histoire.

         Quant à William, je n'ai pas autant été choquée par son tempérament même si, il est vrai, je l'ai trouvé par moment un peu trop froid avec ses congénères mais c'est aussi ce qui fait son charme d'autant plus que, roman d'apprentissage oblige, il évolue beaucoup. Au contraire, ce qui caractérise William pour moi, c'est son penchant au sentiments forts et à l'emphase ce qu'il modère par ce masque de froideur surtout pour ne pas qu'on trouve son point faible afin qu'on ne l'utilise pas contre lui. Ce qui le caractérise à mon sens, c'est son esprit d'indépendance, de maîtrise (il ne devient pas « maître », professeur pour rien) et pourtant, c'est avec beaucoup de maladresse qu'il arrive à ce résultat ce qui le pousse parfois à être piégé par plus malin(e)s que lui...

         Pour ne pas trop dévoiler l’intrigue, je reste muette sur un personnage en particulier qui est de loin mon préféré à bien des égards et auquel je me suis beaucoup identifiée. Au plaisir d'en discuter avec qui voudra en privé si quelqu'un l'a déjà lu ou une fois qu'il ou elle l'aura lu. N'hésitez pas à me faire signe en laissant un commentaire ici ou sur la page Facebook de mon blog.

       En définitive, c'est une belle découverte qui a ses qualités mais aussi ses quelques défauts, comme un sens plus prononcé pour le sentimentalisme et les situations romanesques avec un peu moins de distance que d'habitude. Mais restons-en là de peur d'en dire trop ! Du moins, j'ai retrouvé la patte de Charlotte Brontê notamment l'expressivité de ses phrases et son talent pour dépeindre les sentiments et les caractères.

        Je vous laisse avec un extrait pour vous en convaincre, extrait d'une lettre :
« D'un autre coté, je fais tout aussi bien de vous écrire que de chercher à vous voir ; ma lettre enveloppera les vingt francs que je vous dois (…) ; et, si elle ne vous exprime pas tous les remerciement que j'y ajoute , si elle ne vous dit pas adieu comme j'aurais voulu le faire, si elle ne vous dit pas combien je suis triste en pensant qu'il est probable que je ne vous reverrai plus, mes paroles auraient été encore plus impuissantes à s'acquitter de cette tâche ; en face de vous, j'aurais balbutié quelques phrase inintelligible, qui, au lieu de rendre ce que j'éprouve, n'aurait pu que dénaturer mes sentiments. Il vaut donc mieux qu'on m'ait refusé de vous voir. » [3]
  • Libre à vous de lire Le Professeur en VF dans mon édition, disponible sur Amazon. (Prix : 9€17)
  • Ou alors, laissez vous tenter par la VO dans une édition bientôt disponible chez Collins Classics sur Amazon. (Prix : 3€23, rien que ça !)
[1] "On n'aime pas, en général, à reconnaître qu'on s'est mépris en choisissant telle ou telle profession ; et tout individu qui mérite le nom d'homme, rame longtemps contre vents et marée avant d'avouer qu'il s'est trompé de chemin et de s'abandonner au courant qui le ramène au point de départ." (Chap. IV) 
[2] "Belgique ! nom peu romanesque, peu poétique, et pourtant celui qui réveille en mon cœur l'écho le plus doux et le plus profond; celui que je répète à minuit, quand seul je rêve au coin du feu; celui dont la puissance évoque le passé, brise la pierre du sépulcre et fait surgir les morts ; je le redis tout bas, et les souvenirs, les émotions depuis longtemps endormis, s'élèvent entourés d'une auréole; mais tandis que, l'œil fixé sur leurs formes vaporeuses, j'essaye de les reconnaître, elles s'affaissent comme le brouillard absorbé par la terre, et s'éteignent avec le son qui les a suscitées." (Chap. VII) 
[3] "In one sense a note will do as well--it will wrap up the 20 francs, the price of the lessons I have received from you; and if it will not fully express the thanks I owe you in addition--if it will not bid you good-bye as I could wish to have done--if it will not tell you, as I long to do, how sorry I am that I shall probably never see you more--why, spoken words would hardly be more adequate to the task. Had I seen you, I should probably have stammered out something feeble and unsatisfactory--something belying my feelings rather than explaining them; so it is perhaps as well that I was denied admission to your presence." (Chap. XIX)

2 Response to " "Le Professeur" de Charlotte Brontë "

Popila Says:

Très bon billet, vraiment ! ;)

Alex Says:

Merci beaucoup Popila ! Il faut dire que ce roman m'a plu. Sans être un chef d'oeuvre, il y a beaucoup de potentiel et les personnages sont assez bien présentés pour être attachants. (Surtout F.E.H. <3)

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